top of page

INTERVIEW

Hugues Bultot, CEO d'Univercells: "Le Covid a accéléré nos plans de développement"

©Kristof Vadino

CHRISTINE SCHARFF OLIVIER GOSSET 

10 octobre 2020 00:05

Univercells entend compléter son récent tour de financement par une nouvel apport de 23 millions d'euros qui doit déboucher sur une introduction sur le Nasdaq et potentiellement sur Euronext.

Les choses s'accélèrent pour Univercells. La biotech de Charleroi, qui travaille sur plusieurs projets de vaccins contre le Covid, entend compléter les 50 millions récemment levés avec 23 millions supplémentaires. Son CEO, Hugues Bultot, ambitionne une cotation sur le Nasdaq et éventuellement à Bruxelles.

Vous venez de lever 50 millions. Ce nouveau tour est-il achevé?

Non. Je suis à peu près sûr d’avoir 23 millions additionnels. On ne peut pas encore donner le nom de l’investisseur car ce n’est pas signé, j’ai juste un e-mail de principe, mais il s’agit d’un fonds de crossover américain, de très haut niveau et très bien placé pour nous introduire en bourse. Nous discutons par ailleurs de manière très positive avec la BEI. Mais là, cela prend du temps.

Une entrée en bourse? C’est une nouvelle, cela…

Oui. Le Covid, la création de nos filiales, tout le travail réalisé et l’augmentation de notre visibilité ont accéléré nos plans de développement. La maturité de la société exige que l’on offre un minimum de possibilités d’exit à nos investisseurs initiaux. Aujourd’hui, il y a une volonté partagée de valoriser tout ce qui a été fait à travers une mise en bourse.

À quel horizon?

Je n’ai pas la réponse aujourd’hui. Il y a deux courants. En caricaturant, c’est un peu Europe versus Etats-Unis. Le Belge estime qu’il faut délivrer de la valeur avant d’aller faire le malin en bourse. Et  l’Américain pense qu’il n’est jamais assez tôt et  pousse à aller en bourse "tant qu’il y a une fenêtre d’opportunité, qu’il ne faut pas rater". Pour l’instant, il y a beaucoup d’incertitude sur la fabrication par Univercells de vaccins Covid l’an prochain. La magnitude en termes de chiffre d’affaires va de zéro à 10! Et on parle de millions d’euros. Mais à un moment, il faudra savoir où on va. 

Vous parlez d’une cotation à Wall Street, sur le Nasdaq?

A priori, oui. Pour une raison de connaissance de marché. Mais peut-être aussi une double cotation, avec Euronext Bruxelles.

Est-il impossible pour une biotech de rester belge?

Pourquoi ne serions-nous plus belges si nous avons des capitaux américains? J’ai toujours en tête la réussite de Jean Stéphenne. Ses capitaux étaient à Londres. Pour Univercells, nous sommes assis sur la manufacture. C’est la main-d’œuvre locale qui fait la valeur. En outre, nous sommes sur une compétence - les vaccins - reconnue au niveau européen. Je n’ai jamais entendu mes investisseurs américains me forcer à créer une implantation aux USA.

Quel a été l’apport de Bill Gates lors de la levée de septembre?

Il faut un peu rectifier. Le fonds Adjuvant, c’est une prolongation de la galaxie Gates. Mais ce n’est pas Bill Gates en tant que tel qui a mis de l’argent chez nous. C’est différent de Curevac, où Gates est actionnaire en direct. Adjuvant lui est lié, mais de façon indirecte:  Ils font de  l’investissement à impact, dans le domaine des maladies infectieuses;  l’équipe qui a monté Adjuvant est l’ancienne équipe qui a monté GHIF et ce dernier est un autre fonds à impact mis sur pied par la Fondation Gates. Il y a une filiation, mais Bill Gates n’a pas créé lui-même Adjuvant. 

Certains des nouveaux investisseurs belges ne sont pas coutumiers de la biotech. Univercells a atteint une certaine maturité?

Cela signifie plutôt que le message consistant à dire que dans la biotech, il n’y a pas que le développement de médicaments, commence à passer. Les services ou la technologie peuvent aussi être intéressants et créer de l’emploi. Rappelez-vous la ruée vers l’or: finalement, les plus grands gagnants, ce sont ceux qui fabriquaient des pelles et des brouettes, et pas les chercheurs d’or eux-mêmes, dont beaucoup sont morts sans rien trouver. Par ailleurs, parmi nos investisseurs, beaucoup de gens sont sensibles à l’idée de réindustrialisation.

"Les plus grands gagnants de la ruée vers l'or, ce sont ceux qui fabriquaient des pelles et des brouettes, et pas les chercheurs d'or eux-mêmes."

Partager sur Twitter

 

C’est quelque chose qui vous tient aussi à cœur?

Créer de l’emploi dans la région de Charleroi, cela fait partie de mes credos et quelque part, de mes rêves d’enfant. Mon père était banquier de proximité à Marchienne-au-Pont. Il croyait vivre l’âge d’or du Crédit Communal en vendant des bons de caisse. Il n’a fait que du CPAS en gérant les comptes de pauvres gars qui n’avaient pas un sou. Moi, je jouais au foot dans une équipe dont la moitié des joueurs avaient leurs parents au chômage. Je pense qu’ici, avec cette biotech, il y a une opportunité de réindustrialiser en partie.

Vous ne craignez pas que certains actionnaires vous demandent davantage de rentabilité que d’impact?

C’est la tension entre le fait de créer un maximum d’impact et de créer un maximum d’argent qui fait la beauté du modèle.  On le sait et cela nous motive. Notre modèle, qui permet de diminuer par 5 ou par 10 nos dépenses d’investissement, nous donne beaucoup de marge pour créer un fleuron industriel, gagner beaucoup d’argent et réserver pour le patient une bonne partie de la valeur créée.

"Créer de l’emploi dans la région de Charleroi, cela fait partie de mes credos et quelque part, de mes rêves d’enfant."

Partager sur Twitter

 

Quelles sont les perspectives en termes d’emplois?

Nous sommes environ 200. Pour l’avenir, une ligne de production de vaccins, c’est 80 personnes. Si on fait quatre vaccins contre le Covid, on devra engager plus de 300 personnes.

Où en sont précisément vos propres projets de vaccins contre le Covid?

À la fin août, on n’avait toujours rien signé. On s’est demandé si nous allions vraiment devenir un producteur de vaccins contre le coronavirus. Le projet, avec un site de production à Jumet, est sur les rails. Mais à un moment, on parlait plus du plan B que du plan A.

Et aujourd’hui?

Nous avons signé un contrat avec Ziphius Therapeutics, une spin-off de l’UGent, pour la production de leur vaccin Covid. Nous sommes aussi sur le point de signer avec Reithera, dont l’étude clinique a commencé en août. Ils sont focalisés sur la conclusion d’un contrat d’achat anticipé avec la Commission européenne, qui n’a signé qu’avec quelques gros acteurs. Cela prend du temps.

Vous avez encore d’autres programmes qui devraient aboutir?

Oui, il y a aussi un projet de vaccin indien et on discute pour un autre projet de plateforme belge. On a même eu un moment 17 projets de vaccins et de traitements Covid!

Lequel de ces projets pourrait déboucher en premier sur une production?

Le projet avec Ziphius prendra plus de temps, car c’est un vaccin basé sur l’ARN Messager. Les autres sont sur un pied d’égalité. Je dirais que cela aboutira entre mai et août, en fonction de la signature, des transferts de technologie, des essais...

On peut dire qu’avec plusieurs filiales, Univercells est en train de devenir un groupe?

Oui. C’est une mutation que l’on assume. La filiale Exothera est une société de services qui va fabriquer des vecteurs viraux pour les thérapies géniques. Nous avons également Univercells Technologies, avec l’américain KKR, qui va grandir à Nivelles. Il y a par ailleurs un autre projet en chantier pour les unités de fabrication décentralisées, ce qui était notre projet initial. Enfin, il y a Univercells Vaccines, qui dévoilera bientôt son business plan.  

Comment voyez-vous la situation sanitaire actuelle?

Les choses ne vont pas bien. Il y a un mois, je me disais que le Covid allait disparaître et qu’on n’aurait pas besoin de vaccin. Maintenant, tous les indicateurs remontent, et monsieur Trump est infecté. C’est assez intéressant, d’ailleurs, de voir ce qu’on lui a prescrit: un corticoïde – qu’on utilise en Belgique –, un cocktail d’anticorps polyclonaux – un sujet sur lequel nous travaillons nous-mêmes – et des compléments alimentaires, notamment de la vitamine D. Les disciples du professeur Hertoghe, ce fameux médecin nutritionniste en faveur de la médecine anti-âge, n’arrêtent pas de dire qu’une des caractéristiques essentielles de la population la plus durement touchée par le Covid, c’est le manque de vitamine D. Or 80% de la production de la vitamine D se fait en Chine. Si c’est relayé à grande échelle, on risque une pénurie de vitamine D.

Est-ce une des leçons à tirer? Faut-il davantage de stocks stratégiques en matière de santé?

Oui! Pour moi, c’est essentiel. J’avais avant une vue assez limitée et très égocentrée de la réponse à donner à une pandémie: on fabrique des vaccins, et je pensais que cela  allait nous sauver. Aujourd’hui, on voit que la problématique est beaucoup plus large. Mon associé, José Castillo, et moi-même, nous sommes très curieux et nous avons toujours des doutes existentiels. Nous avons travaillé intensément durant le confinement, jusqu’à 90 ou 100 heures par semaine. Et on se rend compte que le problème est beaucoup plus large. Le vaccin ne sera pas la solution unique. Les traitements progressent aussi, parce qu’on améliore les protocoles après avoir fait des erreurs.

Comment fait-on pour rapatrier des industries qui n’étaient plus rentables chez nous? Par quel miracle le redeviendraient-elles?

Il n’y a pas de miracle. Il doit y avoir une prise de conscience. Il faut être prêt à payer le prix des choses, pour avoir l’assurance d’en disposer. Regardez Deltrian et son pari de faire une ligne de production de masques, de faire de la qualité, de faire du belge.

Les masques, c’est un bon exemple: jusqu’où va-t-on? D’où viennent les textiles, les élastiques? Et les matières premières?

Ce que je sais de mes contacts, c’est qu’il faut faire davantage de géopolitique et être beaucoup plus intégrés à l’Union européenne qu’on ne l’était. Et on doit revoir une partie du fonctionnement de l’OMS, pour pouvoir subsidier certains produits pour éviter une interruption totale des approvisionnements. Les Etats-Unis étaient les plus avancés en la matière, avant que monsieur Trump ne démantèle une partie des mesures. Ils avaient des usines qui ne fonctionnaient pas, mais entretenues pour pouvoir être relancées si besoin. Regardez les budgets de la Défense par rapport à ceux qu’on accorde à ce genre d’initiatives: il y a une disparité absolue. Or nos économies ont été touchées durement, pas par une armée étrangère, mais parce qu’on a sous-estimé ce risque épidémiologique.

Doit-on s’attendre à des pandémies encore plus graves?

Sans dévoiler la princesse, je peux vous dire que la Gates Foundation a très peu agi sur les vaccins de cette pandémie. Elle a réservé des unités de production pour des traitements, et elle raisonne déjà sur les pandémies du futur. Mais il est encore trop tôt pour dire si la pandémie actuelle est dure ou pas. "On ne sait rien" me disait récemment le responsable de la coordination anti-Covid d’un grand pays occidental. On apprend à marcher en courant. Et la façon dont on regarde cette crise ne cesse d’évoluer.

"On apprend à marcher en courant. Et la façon dont on regarde cette crise ne cesse d’évoluer."

Partager sur Twitter

 

Sans parler des programmes sur lesquels vous travaillez, à quelle échéance voyez-vous venir les vaccins, et pour quelles catégories de population?

Je n’ai pas plus d’informations que vous. Les Curevac, Moderna et autres ne mentent manifestement pas sur l’avancement de leurs travaux. Auront-ils des événements cliniques adverses? C’est possible, comme on l’a vu avec AstraZeneca. Ce qu’on sait moins, c’est quelle sera la disponibilité de ces vaccins. Il y aura une dimension politique, comme pour les masques: si on a besoin de deux doses par personne, soit 15 milliards, et qu’on ne dispose que de 1 milliard de doses, il y aura un grand micmac. Et puis il y aura la question du prix. Mais je pense qu’une chose qui est à peu près entendue, c’est que les premiers vaccins ne seront pas les meilleurs – sur le plan de l’efficacité, je veux dire.

Vous ne parlez pas des effets secondaires?

Non, je parle de la question de savoir s’il faut un double shot ou pas. En gros, AstraZeneca a été très vite, et leur vaccin va devoir être administré deux fois. En ce sens, on peut dire que c’est un moins bon vaccin. Par contre, on a plein de copains qui sont impliqués dans les études cliniques, et je peux vous dire que cela se fait correctement. Je suis stupéfait de voir qu’autour de moi, des gens relativement sérieux, que j’apprécie, relaient l’idée selon laquelle Bill Gates aurait un grand plan machiavélique, qui consiste notamment à transformer ses 20 millions d’investissement dans Curevac en jackpot. Je ne peux que leur conseiller de prendre une calculette. Bill Gates a possédé jusqu’à 80 milliards de dollars. Avant que son investissement dans Curevac ne lui rapporte la moitié…

"Je suis stupéfait de voir qu’autour de moi, des gens relativement sérieux, que j’apprécie, relaient l’idée selon laquelle Bill Gates aurait un grand plan machiavélique."

Partager sur Twitter

 

Et info un peu croustillante, un leader d’opinion me disait que certaines sociétés de vaccin commencent à se poser des questions. Vu l’emballement médiatique autour des anti-vax, certaines se demandent pourquoi courir, plutôt que d’attendre un an de plus, le temps que certains opposants au vaccin aient perdu leur job et changent d’avis…

Mais pourquoi? Ce vaccin ne sera pas imposé, en tout cas pas au début.

Vous avez une attitude raisonnable. Mais il y a encore des gens qui croient qu’on va l’imposer, des gens qui ne veulent pas qu’on l’impose, Poutine qui veut faire croire que c’est la seule solution… Il y a des pressions en tous sens. Si on se rate ici, et que les gens à l’avenir refusent les vaccins en masse, il y aura des conséquences beaucoup plus mortelles: on est déjà en pleine crise sur la rougeole-rubéole, avec des endroits en France où la couverture n’est pas suffisante.

bottom of page